ANTHROPOLOGIE DU SPORT



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De l’aveu même de certains sociologues (Vieille-Marchiset & Tatu-Colasseau, 2015, p. 39), le sport étant à la croisée de nombreux champs, sa définition est « flottante, composite et métissée » et « il est justifié de se demander si une sociologie du sport est possible ». Dans cet article, nous donnons une définition essentialiste qui restreint considérablement la classe des activités relevant du sport. Nous assimilons alors les activités rejetées à celles qui figurent dans une autre classe, celle des « groupes frères » du sport, selon la classification biologique importée par Lesage (2015, p. 3454). Ces « groupes frères » recensent des pratiques particulièrement apparentées avec le sport (parce qu’elles nécessitent un intense engagement physique, parce qu’elles sont des pratiques ludo-motrices…) sans toutefois présenter l’ensemble des caractéristiques de l’activité sportive. Notre but est d’éliminer les définitions fondées sur les innombrables représentations sociales qui affaiblissent l’acuité avec laquelle nous devons envisager le sport.

2Selon Parlebas (2015, p. 2218), « l’exemple le plus frappant d’une cacophonie sémantique est fourni par le terme “sport” ». À propos de la sociologie, Parlebas (2015, p. 2218) ajoute : « Il est stupéfiant qu’une discipline qui se veut scientifique n’ait pas réussi à définir de manière indiscutable son “objet” quand celui-ci correspond à un fait social d’une telle notoriété […]. Cette carence autorise, de manière basique, à mettre dans la même catégorie la baignade d’un brave vacancier qui s’immerge au bord de la plage et la performance d’un finaliste de natation aux Jeux olympiques. »

3Nous tenterons de dire ce qu’est le sport comme on peut se demander ce qu’est une œuvre d’art. Dans les deux cas, il est probable, comme le suggère Pouivet (1999, p. 7), qu’un « certain discrédit jeté sur l’idée même de prétendre dire ce que sont les choses en elles-mêmes ait conduit les philosophes à se détourner de l’interrogation ontologique et métaphysique en général. Ce discrédit résulte, semble-t-il, de l’importance prise par des courants philosophiques qui mettent l’accent sur le sujet connaissant ou moral plutôt que sur l’objet connu ou des vérités morales indépendantes de lui. On a beaucoup insisté sur l’emprise des modèles sociaux sur ce sujet trop sûr de son indépendance. »

4Dans ce qui suit, la thèse anthropologique et métaphysique adoptée est celle de Pouivet (2017, p. 15) : « La métaphysique réaliste et finaliste proposée est générale : elle compose une compréhension de ce qu’est la réalité et de sa raison d’être. » La thèse est aussi anthropologique car elle « précise le statut métaphysique de l’être humain, comme producteur d’artefact et d’œuvre d’art » (Pouivet, 2017, p. 133). À la différence de la perspective sociologique qui explique des faits sociaux par des causes sociales et donc par d’autres faits sociaux, notre thèse lie de manière ontologique deux descriptions : celle qui se soucie de dire ce qu’est une vie proprement humaine et celle qui tente de dire ce qu’est une action réellement sportive. L’une ne va pas sans l’autre.

5Nous soutiendrons que les propriétés sportives qu’on attribue à des actions lors d’une compétition sont bien réelles. Ce qui signifie qu’en décrivant l’action d’un compétiteur comme étant celle d’un sportif, nous affirmons quelque chose au sujet du monde, nous ne faisons pas seulement un énoncé reflétant nos représentations. Il s’agit ici d’une défense d’un réalisme en sport comme il en existe un pour l’esthétique ?[1]

[1]

 

 

Tel que le défend par exemple Pouivet dans son Réalisme…. Nous réfutons donc la conception relativiste du sport, au même titre que s’il s’agissait de définir un acte de langage comme l’acte de promettre ?[2]

[2]

 

On peut fort bien penser ce qu’on veut de l’acte de donner,….

6À propos des jeux sportifs nés en Grèce et de leur évolution sous l’influence romaine, Gillet (1949, p. 38) déclare : « Les Romains, conquérants de la Grèce, ne comprirent pas que ces jeux, qu’ils empruntèrent à leurs vaincus, ne tenaient leur valeur que de la manière dont ils étaient pratiqués. » Selon Gillet, les jeux de balle n’étaient plus que des amusements, l’entraînement corporel n’était estimé que par l’avantage qu’il donnait aux légions et l’arène des gladiateurs n’était qu’un lieu de spectacle destiné à montrer toute la cruauté des hommes. Mais ce n’est pas seulement la valeur du sport que la civilisation des Romains perdait ainsi, c’est le concept du sport. Et si le désarroi des amoureux du sport moderne est aussi important, c’est que nous sommes en train de vivre ce que les Romains ont vécu. Nous pensons perdre parfois les valeurs du sport alors que nous sommes en train d’oublier le sens du concept, sous l’injonction sociale de rendre utile tout ce que nous faisons. Il nous faut réapprendre non pas en quoi le sport peut nous être utile mais tout simplement ce qu’est le sport. Apprendre pour connaître ce qu’est le sport et non pas seulement apprendre par le sport. Ce n’est pas qu’une question d’utilité sociale : le pratiquant sportif ne serait alors qu’un bon citoyen en véhiculant les valeurs prônées par ses contemporains. C’est une question éthique qui lie la pratique du sport avec l’exercice de vertus et avec la possibilité de se réaliser en tant qu’être humain. Ce sera l’objet de notre dernier paragraphe.

7Selon Jeu (1993, p. 36), la définition du sport doit tenir compte « des valeurs antithétiques, victoire ou défaite, et cette dichotomie pèse sur le sport un peu comme le bien et le mal en morale, ou le vrai et le faux en logique ». Nous souscrivons à cette idée et pour cela, nous opposerons ces deux conceptions :

8CRE : conception réaliste et essentialiste du sport. Dans cette perspective, pratiquer du sport consiste à s’engager physiquement, émotionnellement, de manière intense, dans le cadre d’une compétition éphémère qui résulte d’une action conjointe paradoxale et produit une œuvre unique.

9CSH : conception socio-historique. Dans une telle conception, « le sport apparaît comme un phénomène historiquement déterminé, donc transitoire puisqu’il n’y a pas de traits permanents de la nature humaine impliqués dans sa définition » (Moreau & Taranto, 2008, p. 28). Par conséquent, le sport est conçu comme l’ensemble des pratiques physiques reconnues ainsi, naissant, évoluant, disparaissant, trouvant une fonction et un sens avec un contexte social précis. Ainsi, « l’approche réduit le sport aux représentations qu’un échantillon de personnes s’en font » (Guay, 1993, p. 21).

10Ce que nous allons tenter de montrer, c’est que le sport reflète un trait de la nature humaine, celui d’une capacité à coopérer d’une manière nouvelle, à la manière dont nous avons appris à coopérer pour élaborer des actes de langage nouveaux et spécifiquement humains. Par conséquent, la question se pose de savoir s’il serait possible qu’un nombre important de personnes puisse croire qu’une activité soit sportive, et qu’en réalité elle ne le soit pas. La thèse que nous tentons de réfuter répond non, par principe.




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